jeudi 11 novembre 2010

"J'aime le voyage, avant d'arriver sur le quai de la gare. J'imagine ce qu'il va être avec trop d'optimisme pour ne pas connaître d'amères désillusions. Je me représente, au départ, aussi correcte que les premières pages des magazines, quand on voit une jeune femme sur le marche-pied d'un wagon-lit, toute souriante et d'une si merveilleuse élégance ! Elle n'a pas de paquets, à peine un petit sac, parce qu'un petit sac est comme le complément direct d'une voyageuse. Tout ce qu'il faut et même ce qu'il ne faut pas, c'est la femme de chambre qui s'en encombre. 
Malheureusement, la dureté des temps a réduit mon personnel et ma bonne à tout faire refuse de quitter Paris à cause du garçon laitier et du cinématographe. D'autre part, je ne voyage pas dans les wagons-lits et, après une nuit affreuse, j'ai bien du mal à me refaire une beauté. 
Oh ! messieurs, ne riez pas de me voir défraîchie au petit jour des wagons-couloirs. Vous n'êtes pas plus appétissants. Vos joues sont moussues d'une bien vilaine barbe qui vous durcit le visage, vos cheveux ébouriffés vous donnent un aspect vulgaire et vos mains sales laissent croire que vous avez pratiqué un métier manuel toute la nuit. 
Je pense souvent aux jeunes mariés pimpants qui montent dans un compartiment, la nuit tombée, jeunes et beaux, et qui se réveillent serrés l'un contre l'autre, au soleil d'Avignon, pour se découvrir tels qu'ils se verront toute leur vie : elle, la peau molle et dépoudrée; lui, râpeux comme du papier de verre. 
On s'étonne que certains mariages ne réussissent pas : il y a mille causes obscures, dont le voyage de noces, qui lance dans des wagons inconfortables, vers des hôtels sans intimité, des couples qui, s'ils ne redoutaient d'être barbés par les parents trop aimants, resteraient chez eux et trouveraient tout de suite ce bonheur calme qu'ils poursuivent vainement de la Côte d'Azur aux lacs d'Italie."
Comtesse Riguidi. Savoir vivre savoir s'habiller savoir plaire.