jeudi 18 novembre 2010

(d'après une photo de Lise Safrati)
jamais elle ne lui pardonna,
  jamais
elle ne voulut croire à l'immense distraction qui lui avait fait glisser la carte de condoléances qu'il s'apprêtait à écrire à sa grande-tante en deuil dans l'enveloppe qu'il avait destinée à la réponse à son faire-part de mariage,        
jamais 
elle ne se laissa convaincre par ses serments et ses dénégations,



à 


jamais elle 
lui


servit sa tête des mauvais jours.

jeudi 11 novembre 2010

"J'aime le voyage, avant d'arriver sur le quai de la gare. J'imagine ce qu'il va être avec trop d'optimisme pour ne pas connaître d'amères désillusions. Je me représente, au départ, aussi correcte que les premières pages des magazines, quand on voit une jeune femme sur le marche-pied d'un wagon-lit, toute souriante et d'une si merveilleuse élégance ! Elle n'a pas de paquets, à peine un petit sac, parce qu'un petit sac est comme le complément direct d'une voyageuse. Tout ce qu'il faut et même ce qu'il ne faut pas, c'est la femme de chambre qui s'en encombre. 
Malheureusement, la dureté des temps a réduit mon personnel et ma bonne à tout faire refuse de quitter Paris à cause du garçon laitier et du cinématographe. D'autre part, je ne voyage pas dans les wagons-lits et, après une nuit affreuse, j'ai bien du mal à me refaire une beauté. 
Oh ! messieurs, ne riez pas de me voir défraîchie au petit jour des wagons-couloirs. Vous n'êtes pas plus appétissants. Vos joues sont moussues d'une bien vilaine barbe qui vous durcit le visage, vos cheveux ébouriffés vous donnent un aspect vulgaire et vos mains sales laissent croire que vous avez pratiqué un métier manuel toute la nuit. 
Je pense souvent aux jeunes mariés pimpants qui montent dans un compartiment, la nuit tombée, jeunes et beaux, et qui se réveillent serrés l'un contre l'autre, au soleil d'Avignon, pour se découvrir tels qu'ils se verront toute leur vie : elle, la peau molle et dépoudrée; lui, râpeux comme du papier de verre. 
On s'étonne que certains mariages ne réussissent pas : il y a mille causes obscures, dont le voyage de noces, qui lance dans des wagons inconfortables, vers des hôtels sans intimité, des couples qui, s'ils ne redoutaient d'être barbés par les parents trop aimants, resteraient chez eux et trouveraient tout de suite ce bonheur calme qu'ils poursuivent vainement de la Côte d'Azur aux lacs d'Italie."
Comtesse Riguidi. Savoir vivre savoir s'habiller savoir plaire.

jeudi 4 novembre 2010

Alors elles vont s'envier une fois de plus - crevant chacune en son fort intérieur d'être, avec certitude et amertume, la plus envieuse des deux, sentant l'aigreur, l'amertume et peut être même l'agressivité monter ; sans pouvoir la contrôler, l'arrêter, penser à autre chose. Elles avaient 5 et 7 ans et ç'avait déjà commencé, le "moi moins qu'elle", le sentiment d'injustice et l'envie de se renverser. Elles s'observent secrètement du coin de l'oeil, jaugeant leur côté de barrière, évaluant l'autre ; elles tremblent d'être celle qui est différente, qui est moins, qui est à part, exclue du jeu, sans imaginer que l'autre est un miroir.

Toute la vie, elles vont s'épier, les sœurs enemies.

jeudi 28 octobre 2010

attention à ne pas dire "franchement" dans les phrases ni "trop", ni surtout "sympa", encore moins "petit", attention aux stéréotypes, aux choses dites sans y penser, à ne pas penser de manière générale, se protéger des tics verbaux, laids, moches, ceux des autres, leurs pellicules et postillons, attention à ne pas se refermer non plus, rester en retrait, mais à l'affût, attention à rester tranquille, surtout, sûr, serein, et reine, prendre garde de toujours faire attention, nonchalamment, attention à prendre des notes, souvent la mémoire s'enfuit, à prendre garde, gentiment, à n'échanger des phrases convenues qu'avec parcimonie mais pas avec des inconnus, pas n'importe qui, ne surtout pas en prendre l'habitude, dérouter, contourner, et se renouveler.
Attention, il faut rester vigilant.

jeudi 21 octobre 2010

//



//Si leur amour était né avant la fin de l'autre siècle, il aurait suivi le long cours des avions-courriers, se serait écrit sur du papier parfumé et ils auraient scellé leurs échanges dans des coffrets plutôt que sur une clé USB//

Une année, il avait choisi comme destination de vacances un pays éloigné de la modernité. 
En attendant son retour, elle lui avait décrit tous les jours -se servant de son adresse électronique comme d'une poste restante- la manière dont elle aurait voulu l'embrasser. 
Elle avait intitulé cet extrait de calendrier Un catalogue de baisers
Elle aurait pu, tout aussi bien, appeler ça  Un nuancier. 

jeudi 14 octobre 2010

La voix impersonnelle annonça que le train aurait 9 minutes de retard.
Mais l'homme, sur le quai, ne sourcilla pas.
Engoncé dans son blouson,
il lisait :

"Vers une heure du matin, Andreas Schaltzmann sortit de chez lui au volant de sa Peugeot 504."

jeudi 7 octobre 2010

Elle avait les yeux ouverts, grand ouverts. Elle tenait à vivre ce moment avec la plus grande acuité et en garder pour toujours le souvenir. 
Elle avait observé la préparation : les gants en latex, les outils méticuleusement alignés, les produits mesurés. 
Elle avait respiré l'odeur violente -décapante avait-elle pensé- de la crème qui, déposée sur sa peau, lui avait procuré une sensation de grande fraîcheur avant qu'elle ait trop chaud. 
Elle n'allait lire aucun des magazines empilés devant elle.
Ça peut prendre beaucoup de temps, vous savez, ça risque même d'être très long
Mais du temps, elle en avait : l’attente avait tellement duré, déjà.
Elle avait les yeux ouverts, elle espérait tout conserver de ce jour qui allait enfin modifier sa vie. 
Or, de la mémoire, elle en avait aussi. Parfois trop ! disait sa mère qui confondait mémoire et rancune, qui était suspicieuse à l’égard des souvenirs des autres parce qu’elle-même n’en avait pas.
Ma fille est tellement butée disait-elle également. Ne l’était-elle pas devenue à force de l’entendre ?

A l'âge où d'autres étaient persuadés d'être fils de prince, filles de roi, enlevés à la naissance par le couple d'origine modeste qui faisaient semblant d'être leurs parents, elle ne rêvait ni de jouets ni de chevaux ni de royaume. Ce n’était pas son milieu social qu’elle remettait en cause, elle.  Mais, chaque fois qu’elle croisait son reflet dans une glace, elle avait cette conviction profonde : elle n'aurait pas dû naître comme ça.
A l'âge où les autres avaient depuis longtemps admis que c'était bien ce simple pavillon de banlieue et pas un château couvert de pierreries qui avait échu à leur enfance et que, nulle part, aucun couple royal ne pleurait leur absence, elle avait persisté à se croire victime d'une grossière erreur.

Une de ses amies, sans le savoir, avait renforcé sa certitude le jour où elle avait affirmé qu’il était absurde de vouloir modifier quoi que ce soit : si on était venu au monde ainsi, c'est bien qu'il n'existait pas de meilleure combinaison entre notre carnation, la couleur de nos yeux, la teinte de nos cheveux.
Justement ! avait-elle pensé. Justement : il aurait dû en être autrement.

Elle avait les yeux ouverts, elle se regardait dans le miroir. Elle avait un peu trop chaud sous la blouse qu’on lui avait fait enfiler mais elle avait tenu à porter, ce jour-là, la robe en laine qui lui valait toujours tant de compliments. Ma robe couleur du ciel l’appelait-elle et, quand elle l’enfilait, elle pensait aux toilettes de Peau d’Ane.

Elle se regardait et elle savait à l’avance, connaissant parfaitement les mécanismes de sa mémoire, ce qui était en train de se graver en elle, ce qui sédimenterait lentement dans son cerveau Ou dans mon cœur ? jusqu’à former un gravier de souvenirs, des osselets précieux avec lesquels elle jouerait les jours de nostalgie.

Le bruit des talons de la jeune fille blonde qui, régulièrement, venait surveiller le déroulement de l’opération. La sonnerie du téléphone, parfois. La voix douce, la musique lente du disque qui passait alors. La lumière dorée de l’automne qui inondait le carrelage. Le titre en couverture du magazine qu’elle n’ouvrait pas : Cet hiver, adoptez le total look ! Le goût des grains de raisin qu’elle avait croqués juste après les avoir achetés, en venant…

Elle savait aussi que, même si elle avait la volonté de rester concentrée sur ce moment, ses pensées vagabondaient ailleurs.
Elle pensait à Agnès, par exemple. Agnès du service comptabilité.
La semaine dernière, quand une collègue était arrivée avec des petites lunettes en aluminium, très fines, après en avoir porté une paire immense en plastique noir pendant une dizaine d’années, Agnès l’avait longuement dévisagée avant de conclure Tiens, tu t’es fait couper les cheveux ?!
Alors que dirait-elle, Agnès ?
Que dirait Agnès demain lorsqu’elle la verrait, de retour de  son jour de congé passé chez le coiffeur, les cheveux colorés, enfin assortis comme depuis toujours elle le voulait au bleu de ses yeux ?

jeudi 30 septembre 2010

elle portait ce rouge à lèvre rouge-orangé, invariablement quand elle arrivait apprêtée, sac au bras, avec un collier en bakélite à grosses perles blanc cassé, ou des boucles-clip en fleur vert céladon, elle était bien différente de celle qu'on connaissait d'habitude, en tablier et même bottes de caoutchouc, cela semblait, même alors, même à ce petit âge qui était le mien, un peu exagéré, vaguement risible, sans compter que ce rouge-orangé-là faisait ressortir sa moustache, et son manque de féminité, et quand elle plaçait son expression, c'était la cerise, elle disait "partir en courses", elle se faisait emmener, car malgré la voiture dans le garage et son permis au chaud dans son portefeuille, elle ne touchait pas un volant, elle était déjà hors du temps, dépassée, ringarde, et on a beaucoup ri à ce propos.
Quand je regarde les bâtons de rouge dans les rayons, je recherche la couleur qui n'y est jamais, un mélange de brique et de corail, l'intensité d'un coquelicot, la douceur d'une nuance fanée mais vigoureuse. Et quand j'approche de la teinte, je la repousse finalement - trop peur de lui ressembler.

jeudi 23 septembre 2010

homework

faire des modifications sur l'angle de vue, revoir le motif du t-shirt, scanner, retoucher l'image et régler les contrastes, sauvegarder la version de travail, envoyer la version finale compressée en haute définition, penser à faire la facture.
sortir le linge et trier celui déjà sec, faire tourner le lave vaisselle, faire la liste des courses, préparer le déjeuner, prendre rendez-vous chez le coiffeur, acheter les places de théâtre -et trouver une baby sitter!!-, rempoter le figuier.
masser chaque matin après la douche, s'étirer deux trois fois par jour pour éviter les tensions, rectifier l'épilation une fois par semaine, crémer matins et soirs, gommer, hydrater, repulper, exfolier, oindre dès que possible, trouver un cours de yoga.
Prévoir le cadeau pour la fin de semaine, téléphoner ce soir, poster le courrier et racheter des timbres, faire le changement d'adresse, réserver pour les prochaines vacances, choisir une date pour le goûter, proposer un pique nique, ramener les livres à la bibli, faire une carte postale.

- Savourer.

devoirs à la maison

"Examiner dans un magasin différents modèles de voitures d'enfant. Faire le croquis de celle qui vous paraît la plus pratique. Justifier votre choix.
Prendre sa température matin et soir, pendant 3 jours consécutifs et la transcrire sur une feuille de température.
Mettre 1 litre d'eau de rivière dans une carafe. Ajouter 1,5mg de permanganate de potasse. Examiner la couleur de l'eau et conclure.
Faire une coupe en couleurs de divers fruits. Donner les caractères de chacun d'eux.
Etablir les menus d'un enfant de 2 ans pour une semaine entière.
Repasser du linge humecté de la veille et la même qualité de linge non humecté. Comparer le temps employé et les résultats obtenus.
Faire des taches de bougie, de graisse, de peinture, d'iode, de cambouis sur des chiffons. Détacher avec les solvants appropriés.
Calculer le prix de revient de l'éclairage d'une pièce pendant 4 heures avec un lustre comportant 5 lampes de 60 watts. L'hectowatt coûte 2 francs.
Faire le plan de votre buanderie. Indiquer les perfectionnements à y apporter pour la rendre plus pratique.

Montrer par un exemple vécu que le désordre est une source de gaspillage et d'ennui."

E. Compain. La science de la maison.

jeudi 16 septembre 2010

FUTUR ANTÉRIEUR

Dans ce pays-là, le temps 
ne fonctionnait pas comme ailleurs. Il
y avait un présent, mais le passé con-
tinuait à exister avec ses mêmes pluies
et ses mêmes moustaches. C'est assez
difficile à expliquer; on sentait que 
tout avait déjà eu lieu, les grandes et
les petites histoires. Et quand on assis-
tait à un événement, on avait l'impres-
sion que c'était son anniversaire.

Norge. Les cerveaux brûlés

jeudi 9 septembre 2010

Un jour, en attendant les autres, il a raconté
-avec sa gouaille permanente,
 on sait rarement quand il est sérieux : 
peut-être toujours, 
peut-être jamais, 
sans doute parfois, 
quand on ne s'en aperçoit pas- 
qu'il avait commencé quand il était jeune
-mais moins jeune que beaucoup d'autres, 
cependant- 
parce qu'il était timide
-et là, 
on a souri parce que ça,
 c'est difficile à imaginer- 
et qu'il pensait que ça l'aiderait
-c'est ce qu'il avait cru comprendre, 
en regardant autour de lui-
à se socialiser, à se faire des copains, à draguer
-à draguer avec succès-
mais ça n'avait pas eu l'effet espéré
-peut-être parce que ça lui donnait mauvaise haleine-
et, le temps qu'il l'admette, c'était devenu trop difficile d'arrêter.


Puis, les autres l'ayant rejoint, ils se sont serrés sur le petit balcon de l'escalier de secours, dans l'air saturé des odeurs grasses de la pizzeria voisine
-à d'autres heures, c'est sur le trottoir qu'ils sont,
 haussant le ton de leur conversation
 pour surmonter tout le bruit de la circulation-


Il n'est pas le seul
-bien sûr-
à s'y être mis pour ces raisons
-l'aisance, la convivialité, l'amitié facilitée-


Et pourtant, sur les publicités de notre jeunesse, on le voyait bien : le cowboy était toujours seul
-quand il fumait-

jeudi 2 septembre 2010

Là c'est le plein après midi, il y a cette lumière sur l'eau et les gens que l'on devine derrière, flous mais nombreux, les parasols et les serviettes dessous comme autant de petits stands, nous on s'était étalés dans l'autre sens, dos au soleil, justement, et les taches multicolores en haut, ce sont nos paréos qu'on avait tenté de tendre comme dans les magazines, mais tu parles, ça offrait une belle prise au vent et il avait fallu rajouter tellement de bazar pour que ça tienne que ça n'avait plus rien eu à voir! On s'était peu baigné, la mer était bien fraîche, mais on n'avait pour autant pas trouvé le temps long, à siroter du thé glacé. Comme à mon habitude je n'avais pas déchaussé mes lunettes et je le vois bien maintenant, ça me donne un air un peu revêche, ou snob, mais il y avait du vent, aussi, et sans lunettes, c'est pas très confortable je trouve ; les enfants ont joué, joué et encore joué, se sont changées mille fois, avant le bain, après le bain, elles avaient trop chaud ou voulaient mettre leur combi, ou décidaient qu'un pagne devenait essentiel dans leurs jeux de rôles.
Eux on ne les voit pas, ils prennent des photos, ils ont toujours des appareils au fond des sacs, des beaux étuis pour les protéger, des sourires de malice quand ils s'en servent, et on ne fait plus trop attention, à force, à cet oeil têtu qu'ils ont, gourmand ; on croit qu'ils parlent, mais ils agencent des compositions.

jeudi 26 août 2010

"En guise de premier déjeuner, ne prenez que des fruits ou des jus de fruits, jus d'oranges ou de pamplemousses, ou, si vous préférez, de temps en temps, des fruits bouillis, afin d'aider au nettoyage de votre organisme et purifier votre sang. 
Les jolies artistes, avant de se précipiter au studio, s'assurent, par ces fruits, une belle santé et l'harmonie des lignes. Si vous voulez obtenir le même résultat, suivez leur exemple. C'est ainsi que vous vous procurerez vitamines et minéraux, énergie et vigueur sans absorber le moindre morceau de viande. 

Le déjeuner devrait être l'heure de la salade : regardez la table appétissante que la nature vous a servie ! Nulle part je n'ai vu d'aussi belles salades que chez nous, en Amérique. Un déjeuner de salades procure la santé et nous fournit ces précieuses substances minérales et ces vitamines sans lesquelles il n'est pas de jeunesse dans notre allure ni d'éclat dans nos yeux. 
Veillez soigneusement à l'assaisonnement. Voici l'un des plus simples : deux cuillers de jus de citron, une cuillère d'huile d'olive, du sel "végétal"(1) et un peu de miel. 
J'entends quelques-unes d'entre vous qui m'interrompent : "Que diront nos maris ? Un homme se contentera-t-il jamais d'une salade pour déjeuner ?" Je répondrai : "Pourquoi pas ?" Parmi ceux qui suivent mes conseils, il en est qui sont à la tête d'importantes industries. Ils pratiquent mon "déjeuner de salades" et ils s'en trouvent bien. Ils le font non seulement pour soigner leur ligne, mais aussi parce qu'ils ont compris que c'était vraiment le déjeuner idéal pour ceux qui ont en perspective un long après-midi de travail. Bien entendu, après votre salade, vous pouvez toujours manger des fruits, et boire une tasse de la boisson que vous préférez."
(1) Voir note p.33

Bengamin Gayelord Hauser. Mangez pour être belles


jeudi 19 août 2010

Trouvailles

Les objets suivants ont été trouvés au Rex, dimanche : 
Une casquette, une paire de gants (dame), un carré de soie bleue, un cache-nez bleu, un cache-nez brique, un gant de peau. 

dans un an et un jour

jeudi 12 août 2010

l'amoureuse

Avant qu'il se joigne à notre soirée, on nous avait parlé de ce garçon comme d'un gagnant, de quelqu'un qui irait loin, comme d'un vendeur-né, de ceux -selon la formule consacrée- qui feraient acheter un frigo aux Esquimaux. 

C'était une publicité mensongère : il s'agissait surtout d'un garçon plus sûr de lui que nous tous réunis ce qui, d'emblée, nous l'avait rendu antipathique. 
Il n'aurait rien réussi à me vendre et, d'ailleurs, jamais je ne l'aurais laissé rentrer chez moi. 
Je suis une si mauvaise cliente que je n'ai même pas acheté de frigo et, de toute façon, je ne mange pas d'esquimaux. 
Si tout le monde était comme moi, seules les librairies n'auraient pas encore fait faillite. 
Et si les apprentis vendeurs faisaient leurs classes rue Linière plutôt qu'au Pôle Nord, aucun d'eux n'en sortirait diplômé. 

Quand les publicitaires déclareront-ils forfait ?
Sur mon écran, ils ne savent plus que placer dans mon champ de vision pour attirer mon attention. 
Toute la mode de l'été
bradée, 
un voyage au loin 
pour trois fois rien,
réservez votre hôtel
à Bruxelles, 
vous voulez maigrir ?
vous voulez mincir ?
un régime adapté
et des kilos envolés, 
faites 
notre test
et vous saurez
quand vous mourrez
... 
C'est bien mal me connaître. 

En désespoir de cause, ils sortent le grand jeu : sur un simple clic, les tarots bohémiens peuvent tout me révéler de moi.
Or, je ne confie mon avenir qu'à celle qui, entre deux propos sur l'amour, entre deux tasses de thé, bat les cartes et sait m'annoncer des bonnes nouvelles. 

jeudi 5 août 2010

Il lui manquait la clé de contact

C'est à une aventure peu banale que les gendarmes de Pompey ont mis fin, hier, en présentant Christian Chrétien, 20 ans, domicilié 5, Grande-Rue à Custines, devant les magistrats du Parquet. 
Dimanche soir, M. Robert Noisette, 23 ans, mineur, habitant Custines, s'aperçut que sa voiture, une 4 CV avait disparu. Il devina, dans le noir, qu'il s'agissait bien de la sienne qui s'en allait, à 3 ou 400 mètres de là, poussée par un individu. Il rejoignit celui-ci et le surprit au moment où, entré dans la voiture, il actionnait le démarreur. Malheureusement, Chrétien, car c'était lui l'individu, ne savait pas qu'une voiture ne fonctionnait que si l'on tourne une clé de contact, et il n'en avait pas. Aux gendarmes qui l'interrogeaient, Chrétien devait avouer une autre tentative de vol de voiture, commise au préjudice de M. Roger Touly, 23 ans, technicien, autre habitant de Custines. Il a été placé sous mandat de dépôt. 
(Le républicain Lorrain. mars 1958)


piquenidouille

jeudi 29 juillet 2010

Elle m'avait tout raconté. Son entrée dans la salle, ce qu'elle y avait vu -et rien n'avait retenu son attention- et, soudain, alors qu'elle ne s'attendait plus à rien, le tableau -petit, discret. Humble-, ce bouquet, ce simple bouquet l'avait autant émue, autant bouleversée que, quelques temps avant, le jeune cerisier dont le vent avait joyeusement éparpillé les fleurs devant elle -pour elle- seulement.
Elle m'avait tout raconté et ses mots m'avaient dit la toile. Et j'avais refusé sans nuance sa proposition qu'elle y retourne, qu'elle m'y accompagne.

Je ne vais pas dans les salles de spectacle, pas dans les salles de cinéma, pas dans les salles de musée.
Je suis dans mon salon, dans la rue, dans le jardin de la bibliothèque royale. Et j'écoute la radio. J'écoute les gens. Et ils parlent de ce qu'ils ont entendu, vu, peint, ressenti, aimé, détesté.

On tape un nom sur un moteur de recherche et tout défile. Des chorégraphies, des filmographies, des monographies.
Mais je ne le fais jamais.
J'aime qu'on me raconte. Qu'on se raconte.

jeudi 22 juillet 2010

porte de sortie

Dans l'intention de mettre fin à ses jours, elle disparaît de son domicile
Mme Emilie Vannesson, 47 ans, 23 rue Lothaire II, a disparu hier soir de son domicile après avoir signalé par une lettre écrite laissée à sa locataire, qu'elle désirait mettre fin à ses jours. Alertée, la police du 4ème arrondissement poursuit son enquête. 

jeudi 15 juillet 2010

Quand, couchée à deux heures le matin, j'ouvre les yeux à sept et ne pense plus qu'au plateau de mon petit déjeuner, au parfum de mon thé, à tous les plaisirs de la matinée, j'abandonne les draps de mon lit pour me précipiter dans la journée. 
Je mériterais de m'appeler Aurore mais, même piquant mon doigt à une quenouille, je serais tout à fait incapable de dormir cent ans. 
Pas plus que pour les travaux d'aiguille, je n'ai d'aptitude à être une princesse. 

Quoique... J'aime beaucoup les petits pois... 

jeudi 8 juillet 2010

j'avais bien aimé ça,



alterner des tranches de ville brûlante avec des tranches de musées glacés. On faisait souvent ça de cette façon et ça sentait encore plus l'été alors, de grelotter dans les couloirs frais, en short, en dos nu, en sandales. On avait des brochures plein les mains et on parcourait les salles avec l'air de ceux qui se demandent où ils vont s'installer. Je me souviens d'après midi entières dans des salles silencieuses, à croiser d'autres couples en bermuda, à prendre de rapides notes sur un calepin vert à spirales.

A Barcelone, la chaleur était extrême. Les expositions du Musée d'Art Contemporain étaient denses et très réussies. Nous avions déambulé très longtemps et c'était si bien que l'on ne voulait plus sortir. Il m'en reste une impression de confort et d'apaisement incroyable - mais je ne me souviens plus vraiment des œuvres présentées, à part ce Boltanski, dans lequel j'avais posé.

jeudi 1 juillet 2010

Il y avait des fourmis dans la mer, des fourmis volantes, ramenées en paquet sur le sable, flottant dans l'eau par grappe, et on a eu beau marcher le long de la plage, pas moyen de les éviter, de trouver une eau juste bleue, juste salée, juste en vaguelettes.
Ça n'a empêché personne de se baigner - mais tout le monde fronçait le nez.
Il y avait des méduses dans la mer.
On dit toujours la mer mais c'était l'océan et il était pacifique.
De loin, elles ressemblaient vraiment à des sacs plastiques blancs, flottant mollement et on avait eu beau marcher le long de la plage, pas moyen de les éviter.
Et on avait ri en repensant à Lydie qui affirmait toujours que tous les sacs plastiques qu'on trouvait dans la mer venaient d'Espagne.
On avait ri mais toutes ces méduses nous avaient empêché de nous baigner.

jeudi 24 juin 2010

va au diable

Pourquoi les marabouts ne pensent-ils jamais
à ceux qui, dans leur boîte, préfèreraient
lire l'éloignement assuré 
d'un être désaimé
plutôt que, sans varier, la promesse du retour
d'un actuel amour ?

jeudi 17 juin 2010

Elles sont trop occupées à distribuer les rôles,
- la couleur des cheveux et les costumes,
les traits de caractères- pour réellement rester
concentrées sur la route ; pourtant il est
dangereux de jouer en pédalant.

jeudi 10 juin 2010

quand tu arrives c'est la porte en face, au fond - vous êtes libres samedi en huit, pour fêter ça ? - il reste du scotch? - un parking aussi, oui - non pas cet immeuble, l'autre, qui fait l'angle avec l'église - c'est beau ce bleu - les cartons à défaire en priorité sont les blancs - le bruit des cloches - le 4 bis? non je ne vois pas - on va prendre l'escalier si ça passe pas dans l'ascenseur - je commence à avoir de sacrées courbatures - on a la clim, c'est drôle - bah on s'habitue, d'ailleurs on s'habitue toujours à tout - mes mains ont pris la forme du rouleau (d'ailleurs j'arrive plus à mettre ma bague) - t'as vu mon trousseau? - bon cette porte là, on la repeindra après - garde toi des T shirt propres - dans la voiture, non? - on va pas pouvoir rebrancher tout de suite - le sac là, je le prends ? - on s'est dit vendredi matin pour louer le camion - tu crois qu'on aura assez de cartons? - l'été c'est plein cagnard - si, c'est toi qui les as, dans mon sac ce sont les miennes - bon j'en ai ras le bol, je fourre tout en boule - on se dit tant pis si c'est pas nickel-nickel? - ah, si, en fait ce sont les tiennes...- ce sera pratique c'est vrai, en face de la poste.

jeudi 3 juin 2010

A A., les adultes buvaient le café dans des verres.
Passé le petit déjeuner et la merveilleuse confiture de figues, il n'y avait plus d'impatience à passer à table.
La salade était assaisonnée au viandox. Les rondelles de tomates jouxtaient invariablement les quartiers d'oeufs durs et les haricots verts.
C'était sans surprise et sans magie. Mais au dessert, on se gavait des melons du pays.

Quand nous ne partions pas en balade quelque part dans la région, que nous n'allions pas passer l'après-midi dans la ville rose, les heures passaient, je ne saurais plus dire comment.
C'était, une fois de plus, des occasions de prouver ma capacité à l'immobilité.
Les marches du perron procuraient une assise et le champ, en face, le seul spectacle possible.

J'ai vécu, là-bas, quelques expériences sans lendemain -faire des mots fléchés, goûter à un baba au rhum, à du saucisson en brioche- ou durablement ancrées -manger un pain aux raisins en ville, choisir un accessoire en vue de la rentrée proche, avoir le sommeil perturbé par les moustiques.

Aller au cimetière comptait parmi les immuables rites et c'était une manière agréable de faire passer quelques heures. On emportait des fleurs du jardin pour les déposer sur la tombe de celui que nous n'avions pas connu, nous longions l'autoroute en cours de réalisation et notre passage provoquait les aboiements des chiens du quartier.

Un jour, en rentrant, nous nous étions arrêtés chez le marchand de presse et, parce que le chanteur auquel elle nous avait tous convertis était en couverture, ma soeur obtint d'acheter un magazine.
C'est sûrement parce que je savais qu'on n'aurait plus jamais cette autorisation que je l'ai lu avec tant de fascination.
A la fin des vacances, j'aurais pu le réciter par coeur, ce numéro de Podium.

jeudi 27 mai 2010

nos nuits jumelles

Nous aurions l'illusion de dormir dans un décor de théâtre, où nous jouerions à dormir, chacun de son côté, chacun son drap et chacun sa lampe, nous aurions commencé par ouvrir les portes pour nous installer et nous mimerions la soirée idéale, parfaite, recommandée même, pour ceux qui vivent en couple, du tout bien ordonné, nous ne parlerions pas mais nous jetterions des coups d'œil complices, en nous félicitant pour ce choix, et tous les autres choix, celui des couleurs au mur, celui de l'emplacement du lit, celui de vivre ensemble, de s'endormir toujours ensemble et chaque soir de la même façon, dans la même pièce, en s'abandonnant au rituel de la chambre commune, avec nos affaires placées à portée de main, le réveil et la petite laine du matin, les pantoufles et le livre, nous serions calés dans nos oreillers, et il y aurait peut être, parfois, cependant, des questions, des agacements, des doutes, sur les couleurs au mur, sur le tic-tac du réveil, sur la position des lampes, sur la respiration de l'autre, ses manies, ses ronflements et son horrible petite laine boulochée au pied du lit, nous aurions des doutes sur la perfection, est-elle accomplie, est-elle souhaitable, de notre vie commune, mais le sommeil sera plus fort que nous, dans notre petite chambre douillette, quand la dernière lampe s'éteindra, et au matin suivant, en refermant les portes, nous aurons déjà hâte que revienne le soir et que s'ouvre une fois de plus, notre confortable chambre de poupées.

jeudi 20 mai 2010

tableau de bord

Il a été question d'un lapin non vidé, à table. Dont les viscères servaient d'exemple.
Quand j'étais petite, les leçons n'avaient pas lieu ainsi. Ou pas lieu du tout.

Je n'ai su que très récemment dans quelle partie du corps se situait le foie.
J'ai regardé seulement la semaine dernière une coupe en couleur du pancréas dans le dictionnaire.
J'ai respiré les odeurs d'hôpital en essayant de ne pas penser à là où s'enfonçaient les nombreux tuyaux.
Je tâche de faire comme si nous n'étions que des enveloppes vides en peau lisse.

Si tout le monde était comme moi, il n'y aurait ni bloc opératoire, ni chirurgie plastique, ni pompes funèbres.
A peine quelques points de suture, un peu de mercurochrome, des pansements.
Et l'espérance de vie serait nettement moins élevée.

Vendredi dernier me sont apparus deux boutons sur le front, juste au-dessus des sourcils.
La symétrie exacte de leur emplacement et de leur développement m'a laissée perplexe.
Je les ai scrutés longtemps, cherchant une explication à cet étrange phénomène sans toutefois m'apesantir sur ce qui pouvait se produire dans les couches profondes du derme.

Je ne suis parvenue qu'à une seule conclusion :
il me pousse des cornes.

jeudi 13 mai 2010

Cet été là

VIJFDE KLAS. – CINQUIÈME

UITMUNTENDHEID.- EXCELLENCE.

1 Prijs.-Prix. Eduard Wollants, Aberbode.
Alfons Van Brusselt, Becquevoort.

1 Accessit. Felix Uten, Diest.
2 Marcel Mettens, Budingen.
3 Albert Holemans, Diest.

1 Mention. René Van Dijek, Diest.
Florent Blommaerts, Molenstede.

Getuigenis van voldoening.- Témoignage de satisfaction.
Tony Tallon, Geet-Betz, Henry Beckers, Schaffen.

Gedrag.-Régularité.
Adriaens, Beckers, Blommaerts, Dassonville, Tallon.

Godsdienstleer. –Religion.
Van Brusselt, Wollants, Uten.

Herlezen der Schrijvers. –Lecture des Auteurs.
Uten, Van Brusselt, Wollants, Van Dijck.

Spreekoefening.- Elocution.
Wollants, Holemans, Gouverneur.

Verzorgen van Werken en Schrijfboeken. –Soin de Devoirs et Cahiers.
Blommaerts, Merckx, Van de Bril.

Vacantiewerk. –Devoirs de vacances.
Torbeyns, Dassonville, Polleunis.

Prijsuitdeeling. 19-7-1929 Distribution des prix.
St J. Berchmanscollege. Collège St J. Berchmans